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Comme on peut

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Pas grand chose à dire concernant ces derniers mois, pas grand chose d’original devant la dévastation et les empathies à géométries variables qui font se sentir seul et d’aucun camp, et même de plus en plus loin de l’idée de camp. Qu’est-ce que je peux faire ? Ne pas jouer l’engagement, ne pas suivre, ne pas déployer la visibilité de mes idées pour ne pas ajouter au bruit et pour ne pas remuer l’air. 

Que dire ? Pas grand chose. J’aide comme je peux, et ça passe d’abord par des livres, par des mots. Ça passe aussi par le soutien, le petit soutien, à des associations, comme j’avais donné pour l’Ukraine, aujourd’hui j’ai donné à une association écologiste, j’ai donné à Médecins sans Frontières pour Gaza et j’ai donné au RAAR, le Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes. 

On se sent seul, même parmi les siens, ceux qui devraient être les nôtres. On espère un groupe, une communauté, mais ce n’est pas possible. Tout est tellement cassé partout, tout est tellement violent même dans notre camp.

Sans parler de prises de position et d’indignations à géométrie variables, il y a aussi cette ambiance de collège, de moqueries, de mépris, de gate-keeping dans les milieux militants qui détruit tout. La gauche, molle, radicale, est décevante et répète les mêmes erreurs, les mêmes mépris, les mêmes hiérarchies, les mêmes violences. Si être de gauche c’est avoir perpétuellement le coeur brisé par toutes les composantes de la gauche, alors il est temps de se réclamer d’une monstruosité qui nous soustrait à l’humanité, devenir vampire. Ça ne veut pas dire ne rien faire. Ça veut dire prendre soi, manier la magie, et comprendre l’impossibilité de notre position. Je n’en peux plus des gens normaux, à l’aise socialement, qui écrasent tout pour leur propre égo. Je veux des alliées inadaptées qui parfois se trompent mais avancent et sont là pour celleux qui prennent des coups. L’humanité est un crime contre l’humanité, c’est le cercle vicieux parfait. Alors nous agirons derrière les rideaux.

Depuis quelques temps, je vois fleurir les livres sur littérature et politique, mais le choix des auteurs et autrices dit déjà quelque chose de politique, dit déjà le mépris et le classisme qui règne à gauche surtout dès qu’il s’agit d’art : pas d’auteurices jeunesse par exemple, pas de littérature populaire (on a bien construit l’idée mortelle qu’une littérature populaire est de piètre qualité), pas de bd, pas de romance, parce que ces auteurices sont méprisées et c’est éminemment politique. Et bien sûr que des maisons d’éditions tellement respectables. Le chic littéraire est un kitsch dont on se rendra compte dans 50 ans. Ce n’est pas étonnant. On sait bien nous, que ça se passe ailleurs, profondément. Se tenir à distance, car les mots et la critique ne peuvent rien entamer de ce marbre. Ce qui entame ce sont nos créations. Alors se taire et avancer. Je sais pourquoi les Français aiment tellement Thomas Bernhard : c’est pour éviter l’apparition d’un tel auteur dans leur propre pays, pour conjurer le risque d’une auteurice qui s’attaque à eux. 

Je me souviens de la violence que je voyais au collège à l’égard de mon ami Vincent. De la violence dans les hôpitaux à l’égard de mon père. Et ce sentiment de ne pas être entendu, pas compris, quand j’en parlais. Le prix à payer de l’ignorance des violences passées des êtres qui ne comptaient pas, c’est la violence qui devient une vague qui va faucher des multitudes. Tout ça, la catastrophe qui vient, est trop logique et très humaine. Il faudrait en finir avec cette idée d’humanité pour préserver et sauver les êtres humains.