J’aimerai un droit d’artiste : pouvoir reprendre mes trucs anciens. Mes livres ce ne sont pas que des couleurs et des mélodies, ce sont aussi des idées, des représentations. Et je suis toujours en formation dans mon rapport aux autres, et en particulier aux autres qui subissent des choses dures et injustes. Alors je viens en partie de là, et je pense que pendant longtemps j’étais surtout concentré sur mes propres douleurs et difficultés, j’étais dans la rage, la revanche, la lutte, et je pense que j’ai oublié des gens, des causes, j’ai loupé du monde et donc le monde. Je sais on ne peut pas être exhaustif et tout ça, mais l’idée c’est quand même de bouger de soi. J’ai un regard flou et partial sur mes oeuvres passées, en tout cas si j’étais sexiste, si j’ai collé des clichés, des idées pas terribles, qui peuvent être blessantes, j’aimerai les corriger un jour et si un jour je meurs je veux dire que je n’ai aucun problème avec l’idée qu’on corrige une de mes oeuvres. Si j’ai étais nul, insensible, caricatural, alors je m’en excuse. Par exemple, je pense que si je pouvais corriger mes romans, plus aucun personnage ne mangerait d’animaux. Autre exemple, je me demande si dans ma bd Le banc de touche il n’y a pas une planche sexiste et je n’aurais aucun problème à ce qu’on la supprime. Le passé d’un artiste, c’est aussi un truc qui doit être mouvant, vivant, touché, travaillé. Le passé c’est aussi de la matière nourrie par le présent. La fidélité c’est ce qu’on est maintenant qu’on a traversé la tempête et qu’on est pris dans une autre. La fidélité c’est d’abord la justesse et la justice, et le moi de 22 ou 30 ans serait d’accord avec ça. Pas de sacralisation autre que la sacralisation de l’évolution d’un artiste. Le présent tend la main au passé, et l’apaise.