La tentation est grande de s’engueuler avec tout le monde. Mais à un moment, j’observe que mes débats et mes disputes, si cela apporte du trouble, un trouble parfois bienvenue, ont pour effet de me blesser, de me laisser insatisfait et triste. J’ai quitté les réseaux sociaux comme scène de débats et militantisme, il y avait des spectateurs pourtant, mais je veux vivre pour moi, les miens, et mes combats, plutôt que pour le spectacle de mes engagements et de mes luttes. Il y avait de la compulsion chez moi à réagir à tout. Certes c’est que tout me blesse, que je vois de la violence partout et tellement de souffrance. Je ne pense pas avoir tort. Mais je pense que dès lors que nos combats nous blessent trop, il faut cesser, en tout cas changer de scène, revenir au local, aux cafés pris entre ami·e·s et dans mon cas aux livres. Je me sens tellement paisible depuis que j’ai arrêté de partager des articles militants et de parler d’écologie, de cause animale, d’anticapalisme. Cela ne m’empêche de continuer à me battre ailleurs et par d’autres moyens. Nécessairement ça ne pouvait que mal se passer : les réseaux sociaux sont faits pour la norme, dès lors qu’on s’en écarte tout est douloureux. Je suis anticapitalisme, écologiste, animaliste, je remets en cause la norme sexuelle. Forcément on se prend des coups. Concernant l’animalisme j’ai bloqué aussi bien des anti-animalistes qui défendent leur droit de bouffer du steak et de porte de la fourrure que des véganes qui trouvent que je ne le suis pas assez (ce que ce mot charrie d’idée de pureté me gonfle). Mes posts sur le véganisme/végétarisme ont produit des réactions violentes de la part d’être humains du milieu intellectuel, d’écrivains, j’ai bloqué une écrivaine par exemple qui voulait donner des baffes aux véganes, et ensuite plus précisément à moi. On assiste à ça et on voit que tout le monde rigole, que le marigot ricane et qu’il n’y a personne pour dire Ça ne va pas, qu’il n’y a personne pour dire « Tu exagères, tu n’as pas à menacer Martin ou d’autres ». Personne n’est là en fait. Je le sais bien mes positions politiques me mettent à l’écart de la norme : je suis contre la viande, pour l’interdiction des voitures (ça va avec la construction de services publiques de transports dans les campagnes et zones péri-urbaines), pour l’interdiction des emballages (vrac obligatoire et généralisé, interdiction aussi des gobelets en carton à emporter pour boire son café), je suis pour l’interdiction des jouets en plastique et des jouets genrés, pour la fin du nucléaire, pour linux, contre les tablettes numériques, pour une école publique alternative inspirée de montesorri et decroly et freinet, contre les chefs et l’idée même de chef, pour la démocratie directe, pour une massive égalité des revenus, pour l’interdiction de la chasse, contre l’industrie, toutes les industries (culturelles et autres), contre la concentration des entreprises, contre l’actionnariat, contre la finance, pour au minimum le végétarisme obligatoire, pour l’interdiction des voyages de vacances et loisirs en avion, contre la professionnalisation des politiques, pour une réduction importante du temps de travail (18h par semaine me semble le maximum tolérable), contre les hauts revenus, pour la fin de l’héritage, pour une société inclusive à l’égard des handicapé·e·s, je suis pour l’interdiction au maximum des produits transformés. Tout cela est très raisonnable. Et pourtant, cela me met en délicatesse avec 99% des personnes. Je l’ai vu lors de la maladie de mon père, son passage par la rue, ma lutte solitaire contre les hôpitaux pour qu’il soit pris en charge : les gens et même les ami·e·s ne se sentent pas concerné·e·s, ils vont continuer à voter pour des partis qui les favorisent eux les bien portants, valides, bien soignés, qui partant en vacances. Et je songe aux électrices et électeurs du rassemblent national, cette catastrophe qui arrive, et tous ces gens qui ne comprennent que quand on va mal et bien non ne vote pas rationnellement, qu’on a pris des coups on ne vote pour ses intérêts, ces gens votent d’une façon qui montre qu’ils souffrent, et peut-être chez certains d’entre eux il y a un désir de catastrophe pour ne plus être les seuls à souffrir. Punaise mais quelle tragédie ! Prenez soin les uns des autres, par pitié. Prenez soin des personnes qui souffrent et ont moins que nous. J’ai critiqué les réseaux sociaux et c’est assez injuste. J’aime bien Instagram, pas de dispute là pour l’instant. Et surtout, en fait le monde réel n’est pas plus simple. J’essaye d’améliorer les menus de l’école de mon fils, et ce qu’on leur donne au goûter (du chocolat blanc, du pain blanc, du crunch), et non ce n’est pas simple, à la mairie ils s’en moquent, l’association Léo Lagrange qui s’occupe de la garderie aussi. Engueulade etc. Alors ça va hein mon fils mange super bien à la maison, on a les moyens et le temps de lui proposer des trucs bios et pas industriels. Mais alors tant pis pour les enfants de familles pauvres dont les parents n’ont pas le temps ni le moyen, à la cantine et aux goûters ils auront des trucs pas terribles, pas bios, trop gras, trop sucrés. Merde. C’est épuisant et blessant d’être confronté à des hommes politiques et à des personnels administratifs qui se foutent des gamins, pour qui la nutrition n’existe pas. Et je ne vais pas me lancer dans un truc qui mériterait aussi un combat : l’école est neuve, la cantine aussi, mais pendant le temps du déjeuner c’est le brouhaha, le bâtiment n’a pas été pensé pour des enfants qui y mangeraient et parleraient, donc c’est super bruyant. Dans la ville d’à côté, la mairie a fourni des bouchons d’oreilles aux personnels de service. Punaise. La cantine est neuve et ils n’ont pas pensé à ça. Donc ça fatigue les enfants, c’est un moment pas très agréable et ça peut causer des dommages à leur audition. Punaise de société qui méprise les enfants. Alors j’arrête, je me calme, j’adhère à la fcpe, au conseil de classe, mais je vais arrêter de porter des combats tout seul. J’ai besoin de calme et de douceur, de tendresse. De repos. De rapports chouettes avec les gens. Je parle de plus en plus avec tout le monde, avec les caissières, avec les vendeuses, avec les gens que je croise. J’ai besoin de liens, de me connecter. Ah tellement envie de me barrer dans une ville, ou un pays, avec qui pour une fois je partage des valeurs. Avec Coline, on a décidé ça : déménager d’ici quelques mois ou années.
Apaisement apaisement oh oui
- par Martin
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