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Un petit texte de mon frère

Pas forcement toujours des bons souvenirs de mon père, mais je suis bien content que l’on ait réussi à nous rabibocher avant que la maladie (dont l’origine provient très clairement des choix politiques que nous ont imposé les belles personnes sortantes de science po et de l’ENA entre — au moins les années 80 et 2000 —, mais c’est une autre histoire.), et que, fatalement, la mort nous sépare. C’était en 2008. Il n’y a pas d’application pour gérer ça, cette chose abstraite : la mort. Ouais je sais Google à un plan pour ça. Le monde ira sans doute vachement mieux quand, Google, Apple et Amazon auront trouvés les bonnes applications pour gérer notre santé, notre compte en banque et nos émotions. Enfant d’internet, face à cette tache noire dans ma vie, je suis allez de l’avant. Hé quoi, faut bien mourir un jour non ? Ouais, mais voilà, mon père m’a fait découvrir Lou Reed, The Velvet Underground, Miles Davis, Bob Dylan, The Beatles, Tom Waits, Jacques Higelin et David Bowie. Si je me souviens parfaitement du moment où France Inter a annoncé que John Lennon a été assassiné, je ne me souviens pas du tout de la réaction de mon père. Ce n’était pas un malabar, il devait être effondré. Mon père ne m’a pas seulement fait découvrir la pop musique, mais aussi le plaisir de la lutte, le courage de lever le poing, de ne pas renoncer. De ne pas renoncer. Pourtant, s’il n’a jamais abdiqué, il a été abandonné, par le Parti Communiste aux mains des réactionnaires, à l’époque : les staliniens (et visiblement, ils ne sont pas morts, aujourd’hui encore ils préfèrent la main armée de l’état d’urgence plutôt que le travail politique). Vous pouvez vous gausser, mais pour avoir trainé avec pas mal de formations politiques, pour avoir pas mal vu d’amis se retrouver dans la même situation: Tout groupe social se conduit de la même façon, pas seulement les communistes. La seule règle étant : « ou bien tu es contre nous, ou bien avec nous ». Je l’ai vu d’un œil d’enfant à l’époque, je l’ai vécu ensuite. Plus tard à Corbeil Essonne, ils étaient bien peu à soutenir le combat que mon paternel menait avec ses camarades du foyer Sonacotra contre Serge Dassault. Dassault ce marchand d’armes, possédant des organes de presse, qui regarde ailleurs quand son stock passe aux mains du marché noir et du terrorisme international, est toujours aujourd’hui soutenu par l’ensemble de la classe politique (oui oui, toi aussi Mélenchon). La déception politique de mon père m’a permis de ne pas tomber dans les mêmes pièges que lui (bien aidé, il est vrai par les réflexions enrichissantes et décalées de ma mère) et les trahisons qu’il a subies m’ont suffisamment ouvert les yeux. On ne lâche rien, mais s’il y a un seul espoir de mobilisation et d’espérance pour le reste de l’humanité, il se trouve dans la pop culture, plutôt que dans les appareils politiques. Et vous voyez, avec le temps tout ça fait sens. Il m’est impossible d’écouter « Working Class Hero » par John Lennon, parce que c’est ainsi que mon père est parti en fumé. Et c’est pour ça qu’à la mort de Lou Reed j’ai chialé, et c’est pour ça qu’aujourd’hui en apprenant la mort de David Bowie je me suis roulé en boule dans mon lit, incapable d’en sortir et d’écouter quoique ce soit du Duke. Parce qu’avec son décès, c’est le souvenir de mon père qui revient, de ses combats et de sa solitude. Et je me souviens alors qu’il n’y a pas attendre grand-chose des constructions sociales, et politiques. Seule reste la pop culture. J’angoisse, donc, à l’idée que Bob Dylan, Tom Waits et Jacques Higelin meurent un jour. Il me restera quoi de la force que m’a donné mon père, ce jour-là ? Un simple « Pop » ?