Deux amies sont venues ici et m’ont fait découvrir cet endroit où je vis depuis six mois (et pour encore six mois. J’ai ainsi appris l’existence d’interrupteurs dans mon appartement, d’une hotte aspirante, j’ai appris que la forêt qui borde la résidence n’est pas la Forêt Noire et que la ville face au château n’est pas Stuttgart. J’ai l’impression d’avoir vécu dans un lieu imaginaire jusqu’ici. C’est drôle.
Le printemps est arrivé ici (mais méfiance : cela a déjà été le cas il y quinze jours et puis une tempête de neige avait surgit). Tentative de promenade, mais stoppée dans son élan : j’ai croisé Matthew Gottschalk, (qui fait des videos et des marionnettes). Alors bien sûr nous avons fait ce que font deux artistes qui se rencontrent : nous nous sommes plaints et nous avons parlé d’arbres vivants qui pourraient bien nous attaquer un jours ou l’autre. Chouette discussion, sérieuse et drôle. Le printemps est la saison tiède. Je ne suis pas sûr d’aimer ça. Spontanément j’aime ça car ce n’est pas douloureux, c’est comme être dans du coton. Mais est-ce que je ne préfère pas quand mon corps sent une petite résistance ? Comme le corps du temps contre mon corps ? Je ne sais pas. Je crois en fait que le printemps n’est pas si tiède, ou plutôt que la tiédeur a un intérêt, et s’appelle douceur, et que l’interaction est là, dans la caresse, dans la délicatesse. Le printemps donne envie d’être doux. Je me fais bien à cette vie à la campagne.
Le ciné club créé avec Ivan Civic sort de l’hibernation. J’ai décidé de projeter The Apartment (La Garçonnière) de Billy Wilder, vendredi soir. Un de mes films préférés : amour, somnifères, businessmen détestables, ascenseurs et émancipation.
Je n’y crois pas vraiment, mais je me dis que des choses se transmettent de génération en génération, et que j’ai des ancêtres qui ont du souffrir de pénurie. J’ai tendance à faire des réserves, à acheter du riz, des betteraves sous vides, du thé. De quoi tenir un siège. Mais peut être est ce parce que j’ai l’intuition de temps difficiles à venir. Ou parce que pendant longtemps je n’avais pas d’argent, et mes parents pas beaucoup.
Durant cette vie et sur cette terre, il n’y a pas de meilleure chose à faire que le kidnapping. Aucune autre ambition n’est aussi noble. C’est ce que tout le monde devrait s’efforcer de mettre en œuvre. On devrait enseigner cet art à l’école. Il faut kidnapper les gens que l’on aime, avec des liens solides mais qui n’emprisonnent pas. Des cordes invisibles et souples, qui n’entravent pas mais retiennent et sauvent quand un gouffre apparaît.
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