Je viens de prendre un café avec Thierry Illouz au café des Deux Palais, face au Palais de Justice. C’est toujours un plaisir de se retrouver, et de parler. Nous partageons beaucoup de choses, de références, une même vision de la vie, du rapport aux autres, du pouvoir, du travail ; même si nos livres paraissent différents nous appartenons à la même famille. Au fil des années je rencontre des gens qui sont des alliés, je ne vois pas d’autre mot que celui-là, c’est exactement ça. L’automne est là, le gris du ciel est sublime, le froid débutant est pour moi une véritable chaleur, j’y suis bien. J’avais sous le bras trois toner d’imprimante que je renvoyais au fabricant pour recyclage ; et un recueil de textes de Milena Jesenska à la main, un livre lu il y a quelques années, je l’ai réouvert hier en me promenant dans ma bibliothèque et j’étais tombé sur cette phrase déjà soulignée par moi : « Je crois fermement que le monde vient à notre secours. On ne sait ni quand, ni comment, ni par quoi. Il survient inopinément, simplement, avec compassion. » Voilà une phrase qui a sa place en moi, qui navigue dans mon esprit tellement elle m’est proche. Plus loin il y a un merveilleux portrait de Kafka. Nous avons donc parlé de Kafka, et du temps que l’on met pour aller vers des écrivains qui nous sont proches, si proches que cela nous épouvante un peu, alors on reste à distance. Puis un jour, enfin on ouvre leurs livres, il est temps, nous avons grandit, nous avons écrit, nous sommes prêts pour la troublante proximité. Nous avons discuté de la Justice, des juges, et des profs, de ces métiers qui devraient être magnifiques mais qui participent à l’atroce reproduction sociale ; nous connaissons chacun des profs, des juges qui malgré tout essayent de gripper un peu la machine, de transmettre des armes en contrebande, ce sont de petites choses et c’est déjà ça. Nous avons parlé de mon départ en Allemagne le 5 octobre, de ce que je ferai là-bas dans ce château en lisière de la Forêt Noire ; et je ne sais pas pourquoi j’ai bu la dernière goutte de café et j’ai retourné ma tasse : il était écrit « schönwald ». Cela nous a étonné autant qu’enchanté. C’est un temps à coïncidences, un temps spécial, fertile et magique.
Lors du vernissage de l’expo Marc Molk lundi, quand Thomas Reverdy est arrivé, je lui ai dit : « Enfin un allié ». Je n’étais pas seul, Marc était là, et une de ses amies, et sa femme ; je n’étais pas sans allié, mais Thomas et moi étions les deux seuls un peu à part, pas habitués aux vernissages, dans notre coin. Je crois que toute ma vie j’ai cherché des alliés ; je crois que si on lève un peu les yeux de nous chaussures, on se rencontre forcément, il y a des chemins tracés dans ce monde en apparence froid et indifférencié.
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