C’est un libraire qui m’a offert ce livre. Damien B., du Thé des écrivains, dans le Marais à Paris. Publié aux éditions Argol.
Avant de l’ouvrir, j’ai passé une semaine avec le titre. Je l’ai lu et relu, des dizaines des fois. Le livre était dans mon sac, je le sortais dans le bus, dans le train, au café, à mon atelier, et je lisais le titre. Ça me comblait, alors je rangeais le livre dans mon sac, j’avais de l’énergie pour mille ans, la vie était belle et tout était magique.
Avec un si beau titre, on a peur que la lecture s’avère décevante. Ce n’est pas le cas. J’ai enfin commencé le livre et le sol s’est dérobé sous mes pieds. Je suis tombé, tombé, tombé. C’était une chute heureuse.
Manger fantôme est court, moins de cent pages, mais on va le lire mille fois, il sera toujours là, accessible et inépuisable. On va beaucoup l’offrir aussi.
Je sais désormais comment manger de la transparence, une description, un lieu ou un symbole. Mon regard s’est modifié. Je mange autrement, et des choses différentes. Je sais qu’un jour je mangerai un nuage, par exemple, et que je boirai un reflet.
Ryoko Sekiguchi nous dit qu’il y a une communication entre ce que nous mangeons et nous-même. Manger est un acte poétique et existentiel : “On consomme des choses que l’on n’a pas conscience de manger”.
Elle nous révèle aussi une chose inquiétante : nous mangeons des fantômes. “Quand par erreur vous avez avalé un ectoplasme, vous ne le sentez pas. vous ne pouvez pas savoir si c’est bon ou pas, puisque vous ne savez même pas que vous l’avez mangé.”
De nos jours, c’est inévitable. Des aliments sans provenance certifiée, hantés, nous transforment en fantômes. Il y a quelques lignes sur l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima, de cette zone devenue fantôme, et l’on comprend que c’est aussi un livre sur la mort, sur la fragilité de nos corps et de nos aliments.
Manger fantôme est un livre sur le monde caché des aliments, sa part inquiétante, mais sa part lumineuse et poétique reste la plus forte. C’est un livre qui change la vie. On ne devrait pas s’étonner quand ça arrive : tous les livres devraient être ainsi.
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