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morale de l’ankylose

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Ces dernières semaines j’ai passé du temps à lire et à écrire sur Twain, de Quincey, Chesterton et Dostoïevski. Ce sont quatre écrivains apparemment très différents. C’est ce que je pensais avant de m’y plonger, de (re)lire leurs livres et d’étudier leur biographie. Maintenant je les vois comme une fratrie, tellement de choses les rapprochent. La plus importante est la diversité de leur œuvre. Ils ont tous écrits dans des genres différents, des formes différentes (articles, textes comiques, graves, récits). Ils sont tous les quatre mal compris et mal connus. La doxa ne retient d’eux qu’une part infime de leur œuvre et compose d’après cela un portrait partiel, qui les déforme.

Tout est fait pour nous assigner à un style : les lecteurs, la critique, se construisent l’image d’un artiste, et la plupart du temps il leur manque une grande souplesse pour accepter que cette image soit mouvante et complexe. Moins on varie, plus on est dans un semblant de continuité, mieux les choses se passent, mieux on est cerné. Il y a une prime à la paralysie volontaire : l’ankylose est la morale dominante. Ne demandons pas aux choses que l’on observe, et en particulier aux artistes, de s’adapter à notre myopie. Si nous n’y voyons pas clair, alors travaillons à accoutumer notre vision.

Les artistes travaillent avec la mauvaise compréhension que l’on a de leurs œuvres. Il s’agit de ruser. Non pas ruser pour se faire comprendre, mais ruser pour se servir de cette image que la majorité du public et des critiques a forcément (et qui correspond a une certaine vérité) : elle permet d’être connu et reconnu, maladroitement, sous le signe du malentendu ; mais elle offre l’opportunité économique de proposer d’autres œuvres qui seront, au sens propre comme au sens figuré, mal vues.

Ce quatre écrivains sont des modèles pour moi. Leur curiosité pour tous les sujets, la diversité des genres qu’ils abordent et la variété de leur style est une tentative d’unifier le monde. Il faut être touche-à-tout, l’éclectisme est une qualité encore peu défendue. Nous sommes élevés selon le principe de la monoculture (quand l’éducation et la culture suivent le chemin de l’agriculture industrielle), on nous dresse à devenir des spécialistes et à occuper une place bien délimitée. On peut faire le choix d’écrire sur tout et dans tous les styles. L’écriture, la littérature sont des arts récents et qui n’en finissent pas de commencer à être explorés.

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