Jeudi soir, rapide passage à un cocktail donné pour le lancement du livre 100 monuments/100 écrivains. Cela se passait à la Conciergerie et j’y suis arrivé sans alliés. Heureusement Marc Molk m’a rejoint (il en parle sur son blog), puis Thierry Illouz et Marie Nimier. Ouf, je n’étais pas tout seul. C’était impressionnant, si impressionnant que je suis parti très vite. Ce genre de cocktail obéit à une chorégraphie bien réglée. On flâne, puis on nous invite (il y a des vigiles et il me semble qu’ils étaient occupés de tazers) à écouter les discours. Le premier (d’une conservatrice) était très bien, elle a fait allusion à l’article 52 de la loi de finance 2010 (scandaleux dit Marc) (concernant la cession par l’Etat de ses monuments historiques), à mots feutrés elle marquait son opposition. Puis Adrien Goetz (écrivain, et éditeur de ce livre) a lu le nom des cent auteurs (ajoutant une petite phrase -c’était gentil et élégant). Enfin le ministre de la culture de Nicolas Sarkozy a commencer son speech, et c’est là que je suis parti. Alors que je prenais mon manteau au vestiaire (débattant intérieurement pour savoir si je devais laisser un pourboire, et si oui de combien) un jeune homme est venu se présenter : il va publier son premier roman au Dilettante en septembre 2010. Je regarderai ça. Il parait que la soirée a été sympa. Mais je n’ai aucun talent pour ce genre de rassemblements, j’étouffe, je me sens mal, impression d’être dans une salle d’attente géante chez le dentiste. Thierry (qui travaille au Palais de Justice attenant) nous dit que la Conciergerie était une prison, il nous dit aussi que les geôles actuelles du Palais de Justice sont terrifiantes et bien loin de la beauté de la Conciergerie. Pendant la Révolution Française on y amenait les condamnés à mort. On avait surnommé le lieu : « l’antichambre de la mort ». Je ne sais pas qui a eu l’idée d’organiser un cocktail dans une ancienne prison et d’attirer des écrivains (dont la plupart sont des opposants à ce gouvernement) dans « l’antichambre de la mort », mais je trouve ça bien vu. Puis je suis allé dans le 11° arrondissement pour assister à la fin de la rencontre des Filles du Loir. Thomas Reverdy et sa petite famille m’ont hébergé pour la nuit.
La rencontre avec les bibliothécaires s’est très bien passée. Cela a duré près de trois heures. Question sur la différence entre écrire pour les enfants et pour les adultes. Une bibliothécaire dit : « On écrit autrement pour les enfants, même sans le vouloir, de la même façon qu’on parle différemment aux enfants ». Cela me semble juste. En tout cas, je ne fais aucun effort, je ne simplifie pas mon vocabulaire, je ne gomme pas les aspects existentiels. Questions, questions, questions, réponses, réponses, réponses. C’était chaleureux et vivant. J’ai dit que je pensais que les auteurs qui écrivaient des livres durs et sombres sans une note d’espoir (sans leur offrir d’armes pour réagir) pour les enfants exerçaient leur tendance au sadisme. Souvent ce sont ceux qui n’ont pas vécu de tragédie qui écrivent les tragédies les plus dénuées de nuance. C’est une pose. Une pose payante, car ces auteurs ont leurs adeptes, les domestiques de la souffrance ; il me semble que notre société (en particulier le champs littéraire) en est pleine, et souvent ils ont des positions de pouvoir. Comme si la plus grande dureté était le signe de la plus grande vérité. Je dis qu’il est condescendant de considérer les enfants comme des êtres à qui il faut servir une littérature de pacotille dénuée de tragique, comme il est sadique de faire comme si les enfants avaient les mêmes défenses que les adultes. Les enfants ne sont pas des adultes, les adultes non plus d’ailleurs ne sont pas des adultes mais au moins ne sont-ils plus des enfants. Les questions esthétiques posent des questions éthiques ; impossible de séparer les deux, personne n’y échappe. Ma position esthétique/éthique : l’oxymore ; j’aime les oeuvres tragiques et drôles, désespérées et d’espérance. Mais passons. Je crois que mes livres pour les enfants et les romans pour adultes se ressemblent. Ils partent de quelque chose de sombre, mais les personnages rusent, ils changent et s’inventent une vie possible, je veux dire : ils résistent et imaginent. Le malheur est là, mais aucune allégeance ne lui est juré. Pour caricaturer, mes livres sont de deux sortes : les comédies (Stupide, Peut-être une histoire d’amour), les tragédies (La libellule de ses huit ans, On s’habitue aux fins du monde, La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique). Bien sûr les comédies sont tragiques et les tragédies possèdent des artères d’ironie et de fantaisie. Les différences ne sont pas si importantes, mais c’est souvent ainsi que des lecteurs voient les choses. Quand un lecteur me parle d’un de mes livres j’en apprends bien plus sur le lecteur que sur mon livre. Pour en revenir à la littérature jeunesse: Poser la question de l’éventuelle difficulté de l’écriture pour les enfants, c’est faire comme si la littérature adulte était plus naturelle. Je ne crois pas. Il n’y a rien de naturel dans l’écriture. Et puis ce qui me sépare des enfants, me sépare aussi de la plupart des adultes. Ce n’est pas plus simple de leur parler (c’est une expérience quotidienne ! et je me rappelle -pour me rassurer- que Kipling était mal à l’aise en société, qu’il préférait parler aux enfants, comme Chesterton). Si on considère qu’un écrivain écrit pour le lecteur qu’il est, alors encore une fois cette écriture n’est pas simple, on n’est jamais simple pour soi-même. En tout cas, matinée passionnante. C’est une belle époque pour la littérature jeunesse, il y a des merveilles, et des gens biens et gentils (un jour j’écrirai une défense de la gentillesse) qui s’y intéressent.
Lu dans Le Monde d’hier (page 5, du supplément 65 ans en question) : Une courte interview de (je cite) « Jean-Claude Trichet, prix Nobel de Littérature 2008″. Trichet est le président de banque centrale européenne. Les lapsus sont passionnants, ils éclairent, ils dévoilent. C’est tout simplement merveilleux, en quelques mots échappés tant de choses sont dites.
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