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les écrivains décourageants

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On commence un livre (Une famille en voie de guérison), on découvre un écrivain (Kenzaburo Oé) et on se dit qu’on l’aime bien, on est heureux de cette rencontre, on sent que ses livres nous accompagneront, puis on tombe (page 27 seulement) sur : « il ne me semble nullement exagéré d’affirmer que ce qu’on subi les habitants de ces deux villes <Hiroshima et Nagasaki> soumises aux attaques nucléaires a été le plus grand malheur infligé à des êtres humains au cours du vingtième siècle ».  Je suis doué d’un esprit de contradiction particulièrement vif, souvent mes amis trouvent que j’exagère, mais tout de même une telle phrase venant d’un écrivain est inquiétante. Mais peut-être Oé ne sait rien de la solution finale hitlérienne. Il ne sait rien non plus de l’Arménie, de Dresde, des Khmers Rouges, du Timor Oriental, du Rwanda. Il est passé à côté. Il n’a pas vu. Il est distrait, et puis il ne lit pas les journaux, il n’écoute pas la radio et les livres d’histoire l’ennuient. Admettons. Ce qui est gênant c’est qu’il n’a pas vu non plus ce qu’il y a sous son nez : les massacres commis par l’armée japonaise, les six millions de Chinois, Indonésiens, Coréens, Philippins, Vietnamiens, des civils assassinés, enfants, femmes, hommes. Je n’imagine pas un écrivain Allemand dire que le plus grand malheur de ce siècle a été le bombardement de Dresde. Ce serait indécent, et pour tout dire, ce serait du négationnisme. Dernière chose. Ce sont les mots mêmes de la phrase de Oé qui me posent problème : il ne faudrait pas écrire « le plus grand malheur » ; en matière de massacre il ne faudrait pas employer le vocabulaire des concours agricoles. Dans ce triste monde de compétition, on se met à attribuer des médailles aux massacres. C’est le plus choquant. Quand on connaît la vie d’Oé, cette phrase est d’autant plus terrible. C’est un bon livre, je vais le poursuivre. Mais une distance s’est déjà installée.

Au chapitre « les écrivains idiots », je viens de lire l’entretien entre Philip Roth et Edna O’Brien (dans le recueil Parlons travail, les autres entretiens sont passionnants). Cette chère Edna nous apprend des tas de choses sur les hommes et l’amour : « Aujourd’hui encore l’homme a plus d’autorité, plus d’autonomie, c’est biologique. (…) L’homme a beau faire la vaisselle, son engagement sera toujours plus ambigu, et son oeil vagabond. (…) La femme, j’ose le dire, est capable d’attachements plus profonds, plus durables. » La bêtise d’Edna O’Brien n’a rien à voir avec la biologie, elle a uniquement pour origine son manque de sensibilité et de finesse d’esprit.

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