Cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps : j’ai fait un hors-sujet. Mon texte sur le tableau de Marc n’est pas du type demandé, j’ai écrit un essai, alors que j’aurais du écrire un texte de fiction. Je n’ai pas bien lu les consignes, me voilà replongé dans des souvenirs écoliers. Ce n’est pas bien grave ; écrire un texte de fiction me sera plus facile, c’est dans mes cordes.
Petit déjeuner dans un charmant petit hôtel du 1er arrondissement avec deux amies. Il y a avait des lustres surmontés de sortes de petits champignons abat-jour et une chaîne de montagne (les Alpes?) en cristal au milieu de la salle. Nous avons discuté en picorant ; tous les matins devraient être ainsi.
Une écrivaine que je ne connaissais pas (Nelly Arcan) vient de se suicider. Elle avait quasiment mon âge. Cela me fait penser à Marc Vilrouge qui est mort il y a plus de deux ans déjà (à trente six ans); lui est mort d’une crise cardiaque. Nous nous étions croisés quelques fois, nous nous étions retrouvés en Hollande pour parler de notre travail lors d’un salon du livre. Il avait un rapport douloureux au monde et aux autres, un rapport juste donc, il lui manquait une distance sans doute, quelque chose de doux et de fort pour se protéger et inventer. Il buvait trop, fumait trop, il avait l’impression de n’être pas soutenu, de n’être pas compris ; on devait se revoir pour boire un verre (il est important de s’entourer, de trouver des alliés bienveillants, des gens avec qui échanger quelques mots, avec qui prendre un café). Il est mort d’une crise cardiaque, mais il vivait de telle manière qu’il épuisait son corps, alors sa mort me fait penser à celle de Nelly Arcan J’avais lu les livres de Marc avant sa mort, je n’ai pas encore lu ceux d’Arcan Le suicide est mystérieux paraît-il ; il me semble que le non-suicide l’est aussi. En tout cas, il faudrait être là pour les gens que l’on sait, que l’on sent très sensibles et qui n’ont pas réussi à créer des ruses pour s’en sortir. Il faut veiller sur eux, veiller sur nous, prendre soin des vivants et penser aux morts. Quand j’ai appris la mort de Nelly Arcan, j’ai regretté de n’avoir jamais lu ses romans, de ne lui avoir jamais écrit un mot. C’est bête j’imagine.
Et puis il faudrait des signaux d’alarme dans la rue, comme ceux des trains, pour faire faire une pause au monde, tout arrêter sans mourir, et respirer. Parfois j’y pense, je l’imagine ce signal d’alarme, je m’assois, je joue de la trompette, j’apprends à être dans le présent et à figer le passé et l’avenir. C’est ce que Pierre Hadot appelle un exercice spirituel. La vie est atroce et pourtant il y a un plaisir incroyable à être simplement au monde. Il me semble que les raisons de vivre se fabriquent, comme la joie, on a prise sur notre vie, pas tout le temps, pas parfaitement, mais nous avons une grande capacité à façonner les choses et nos représentations. On devrait l’enseigner en classe ; parler d’Epicure, de Marc-Aurèle, de Spinoza, par exemple, certains livres nous donnent des armes. Ce matin j’ai passé du temps avec deux amies, à boire du thé, du café, à manger des tartines, c’est cela qui aide à vivre, les rencontres que l’on provoque, les gens dont on se sent proche et qu’on appelle.
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