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Proust

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Je n’ai pas encore lu La Recherche du Temps Perdu. J’ai commencé il y a des années, mais sans poursuivre bien loin. Evidemment comme Stéphane (Heuet) l’adapte en bande dessinée, Proust revient souvent dans nos échanges (et j’ai lu Contre Sainte Beuve). Je pars en Allemagne début octobre, c’est là-bas que je compte lire La Recherche (ainsi que les Essais de Montaigne, traduits en français moderne par un prof d’université à la retraite, c’est de l’auto-édition de grande qualité). Un autre ami est en train de la finir, il m’a parlé du Temps Retrouvé hier, du travail de l’écrivain dans ce livre qui est « de passer de l’impression à l’expression ». Il m’a aussi dit « Tout travail d’écrivain est un travail de traducteur ». Comme toute lecture est une traduction d’ailleurs. (Je repense à un petit livre sur la traduction intitulé Bréviaire du traducteur, de Carlos Batista. Je ne me souviens plus du livre, de son contenu, il était divisé en fragments je crois). J’ai entendu des gens plutôt intelligents dire ne jamais lire de traductions car tout se perdait du passage d’une langue à l’autre, oubliant que toute lecture est déjà une traduction, plus insidieuse car on se figure parler la même langue que l’auteur. Les plus grands malentendus d’un écrivain sont avec les lecteurs de son propre pays, de sa propre langue, à cause de cette familiarité, de cette illusion d’évidence créée par une langue commune.

Les journalistes littéraires sont de drôles d’animaux, des animaux des Fables de La Fontaine (ou de la Comédie Humaine, et puis Balzac leur a consacré un petit livre). J’en connais et j’en lis de très bons, et souvent ce ne sont pas ceux des journaux les plus prestigieux qui parlent le mieux des livres, ce sont de petites mains, des pigistes, des journalistes isolés dans leur rédaction, ou bien en province, en Suisse, en Belgique, loin de Paris. J’en lis surtout des médiocres. J’envie les metteurs en scène de cinéma car les critiques parlent de travelling, de plan, de séquence. Il y a des machines (caméras, rails, grues, éclairages), donc on peut parler technique dans la création, des effets qu’elle produit. Les journalistes littéraires oublient (mais pour leur défense il faut dire que la majorité des écrivains en France ne le savent pas non plus) que le travelling, que le gros plan, la séquence sont des inventions de la littérature. Un roman c’est une forme, l’auteur se sera servi d’une caméra plus souple que n’importe quelle steady cam (allez disons-le un écrivain utilise des trucs, comme les magiciens -car il est un magicien de cabaret). Il n’y a rien de noble dans le travail quotidien de composition (mais on peut trouver noble le simple labeur). Nous bataillons pour des détails, nous traçons des lignes, posons des jalons, nous changeons des paragraphes de place, nous donnons tel couleur à telle chose, nous utilisons des symboles, des renvois, c’est un vrai champ de bataille. Je ne dis pas que les journalistes devraient pondre des articles uniquement techniques (l’université doit s’y employer j’imagine), iil ne s’agit pas de « dévoiler le montage impie de la fiction », mais de montrer que des choix de forme donnent du sens (surtout dans les livres romanesques, car on veut bien voir de la forme mais uniquement dans les livres les plus évidemment formels c’est un peu facile). Que l’on arrête de croire à cette fiction de l’artiste créateur incréé touché par le grâce de l’inspiration (qui existe certes, mais si nous sommes inspirés c’est que nous avons beaucoup travaillé, que nous avons vécu et fait quelque chose de ce qui nous est arrivé, de ce que nous avons vu). Tout est manigancé, comme un crime, et les détails ne sont souvent pas anodins, la profession d’un personnage, le lieu où il habite, la manière dont il s’habille. Un roman est une composition, c’est un tableau. Souvent les articles n’abordent que l’histoire (mais il y en a peu dans les romans en France -cela change ces temps-ci), ou bien les sentiments (un bon livre sera un livre émouvant), ou bien la morale (suivant les journaux on applaudira l’humanisme ou le nihilisme). J’ai lu pas mal d’articles sur deux trois livres que j’aime dans cette rentrée littéraire et j’ai souvent été déçu par la superficialité des raisonnements. J’ai entendu des arguments comme « L’écriture n’est pas assez contemporaine » (cela semble être un acte de délinquance). Passons. Il y a un phénomène étonnant quand on est écrivain : on est touché par des articles écrits par des gens que l’on estime pas. Articles positifs ou négatifs. Quand ils sont positifs on ne s’en formalise pas (il y a une petite gêne, comme si on était embrassé par une fille jolie et bête). Quand ils sont négatifs on est doublement blessé, car on se rend compte du paradoxe de la situation : ce que disent ceux que l’on méprise compte pour nous alors que cela ne devrait pas. On peut travailler à changer ce trait névrotique. Il y a une sorte de gymnastique à faire pour se tenir à distance de cela, pour ne pas être touché. Ce n’est pas simple car le désir de reconnaissance est ancré en nous depuis l’enfance, l’école nous éduque à cela, à guetter l’approbation de ce que l’on estime pas, comme un réflexe conditionné. Il faut s’en défaire. Une manière est de ne pas lire les articles consacrés à notre travail ou de demander à nos attachés de presse de nous communiquer uniquement les articles présentants un degré minimum d’intelligence (positifs et négatifs). Mais, il faut s’y faire : dans la plupart des cas, on n’échappe pas au malentendu (parfois cela dure des siècles et des siècles, c’est le cas d’Epicure, c’est le cas des cyniques). Heureusement il y aura toujours une minorité (qui contient des journalistes) qui aura une lecture consistante de notre travail. Woody Allen a écrit : « If I was giving advice to younger people, I would tell them to not listen to anything–don’t read what’s written about you, don’t listen to anybody–just focus on the work. »

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