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Retour à la vie, David Goodis, 1938 (texte écrit pour une revue littéraire en 2003 ; le roman est publié aux éditions Rivages)

Dans ma bibliothèque il y a beaucoup de livres que j’aime, quelques uns qui m’ennuient mais que je garde pour impressionner mes invitées, une poignée que je déteste assez et sur lesquels ma petite cousine pratique ses exercices de coloriage et de découpage. Jusque là, tout va bien, ces livres apprivoisés sont de bonne compagnie, ils m’écoutent chanter, ils ne miaulent pas et ne m’ennuient pas. Le problème vient de ces livres qu’on peut, comme les vrais amis, compter sur les doigts d’une petite main, et qui comme les vrais amis font partie de notre vie comme, disons, notre ventricule gauche. Retour à la vie de David Goodis en est un exemple parfait. Le soir, j’éteins la lumière et je le vois qui brille sur l’étagère du milieu. Ce n’est pas une lumière agressive, non, je dirais que ça ressemble à une veilleuse, vous savez du genre de celle que vous aviez dans votre chambre quand vous étiez gamin, sauf que là c’est du pur radium. Ce livre palpite comme une luciole géante, si intensément que mes rêves ont gagné en éclat et en chaleur. Je n’étais pas préparé au traumatisme d’un tel bonheur, ni à la beauté de cette tragédie. Si je ne l’avais pas lu, j’aurais des nuits plus sombres et des jours où le soleil n’a pas l’air si minable ; il n’y a pas de parapluie pour nous protéger de tant d’émotions, tout juste l’ombrelle plantée dans un cocktail trop alcoolisé. Je voudrais prévenir les lecteurs ingénus qui seraient tentés de plonger leurs yeux dans l’or en fusion de ce roman : cette histoire vous causera des brûlures, de belles brûlures radioactives comme seul l’amour peut en produire. Herb et Dorothy ne donneront pas de vacances à votre âme ; et si vous êtes amoureux d’une fille qui, dans l’enfance, mangeait les chewing-gums qu’elle trouvait par terre, à la dernière page, vous trouverez le courage de lui donner votre cœur. Evidemment ça n’arrange personne, mais après avoir lu ce roman, on est obligé de vivre, on ne peut plus faire semblant.