Aller au contenu

(Ce texte -merci à Emilie Grangeray qui m’en a fait la demande- est paru dans Le Monde des livres en décembre 2008, le thème en est la peur dans les livres pour enfants, sujet du salon du livre de Montreuil cette année là)

C’est classique, il y avait des monstres et des fantômes derrière la porte de ma chambre, dans les placards, sous mon lit ; mais l’école, la famille, les autres, moi-même, tout cela n’était pas moins effrayant. J’ai cherché la peur dans les livres pour me défaire de la peur que j’avais du monde extérieur. Par une sorte de transmigration, la lecture m’a permis de découvrir une peur plus positive. Je pouvais y goûter à mon rythme, et ainsi la contrôler.

Le Grand Livre Vert de Robert Graves illustré par Maurice Sendak a une place particulière dans ma domestication de la peur. C’est le livre de mon enfance qui m’a plus marqué et qui continue de me hanter. L’histoire : Jack a perdu ses parents, il vit chez son oncle et sa tante, et il s’ennuie. Un jour, il trouve dans le grenier un grand livre vert. Ce livre est plein de formules magiques. Dans un premier temps, Jack va se transformer en vieil homme. Cette image d’un être mi-enfant mi-veillard (à peine né et près de mourir) m’a effrayé, c’était monstrueux : l’âge adulte avait disparu, j’y reconnaissais une condensation de mes angoisses métaphysiques. Grâce à sa longue barbe grise et à ses tours de magie, Jack fait ce qu’il veut. Il va plumer son oncle et sa tante en jouant aux cartes, à tel point que ceux-ci vont devenir ses domestiques ; il change les feuilles d’un arbre en cartes. Il découvre qu’il a plein pouvoir sur le monde, ses proches et sur lui-même. Passé un moment d’excitation, je pense que cela ne m’a pas semblé très rassurant ; Jack, d’ailleurs, à la fin, redevient un enfant. Il ne renonce pas à sa magie : il en fera usage avec plus d’intelligence et de discrétion.

Enfants, nous faisons l’expérience terrible d’un monde et de gens qui ont du pouvoir sur nous. Grâce à ce livre, j’ai commencé à faire l’apprentissage d’une peur bien différente, une peur positive et excitante, qui fait grandir : une liberté est possible et elle passe par la seule magie à notre disposition, l’imagination.