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Dictionnaire de la pluie, Patrick Boman, 2008, éditions du Seuil (texte écrit pour le Magazine Littéraire, été 2008 ; le dictionnaire est publié aux éditions du Seuil)

Je rêve d’une bibliothèque de dictionnaires. Dans cette bibliothèque, une place de choix (à hauteur du plexus, près de la petite table où je poserais ma théière en terre de yi xing) serait réservée au Dictionnaire de la pluie de Patrick Boman.
Avec cet ouvrage, le romancier s’habille de la robe de l’érudit. Il a déniché des légendes du monde entier et de toutes les époques, des dictons, des livres et des données scientifiques. Il nous offre un florilège de poèmes, de comptines et de chansons ; il nous parle de littérature, et cite de magnifiques passages pris chez Zola, Flaubert, Whitman, Virgile, Onfray.
À certains moments, Boman se fait scientifique. Il nous enseigne les secrets des perturbations, des orages, du pluviomètre, des dépressions, des cyclones. Il nous rapporte des records (la plus grosse goutte a une taille de huit millimètres ; Lloro, en Colombie, accueille le plus haut niveau de précipitations), il recense les grandes inondations et les différentes sortes de pluies. Puis, d’un coup, il se transforme en lexicographe. Cela ne dure pas : vient une page sur les vêtements de pluie. L’instant d’après, il a encore changé de costume, il tient le code civil en main. Enfin, il devient anthropologue et dévoile les rituels de nombreux peuples.
La pluie s’insinue partout ; elle est prétexte à une incroyable poésie d’interprétation. Elle se mêle de politique, de religion, d’art et de science. Cadeau et calamité, elle lie les êtres humains entre eux (le phénomène est quasi-universel, seul un désert chilien y échappe). En nous dévoilant leurs rites et leurs superstitions, l’auteur nous familiarise avec des civilisations méconnues. On pourrait dire : « Parle-moi de ta pluie, je te dirai qui tu es ». On lit ces pages avec le sentiment que l’humanité et les arts trouvent leur origine dans cette eau qui tombe du ciel. Nous faisons le tour du monde à la rencontre de dieux, d’Indiens, d’Auvergnats. Cette pluie de près de 400 pages constitue un véritable guide de voyage dans l’espace et dans le temps.
Le Dictionnaire de la pluie déborde de pépites. Nous nous trouvons à la fois dans un cabinet de curiosités et dans la caverne d’Ali Baba. La collection est impressionnante : nous rencontrons des dragons, Debussy, des faiseurs de pluie, un éléphant, Vassili Grossman, la lune. Nous assistons à des danses, à des sacrifices et à des festins. Nous découvrons des pluies incroyables (de lait, d’alligators, d’excréments, de cendres, de bambous). Vous voulez savoir ce que sont les pierres de foudre ? Précipitez-vous sur ce livre. Le dictionnaire attise le désir. Il nous informe pour nous donner l’envie de voyager, de lire, d’apprendre.
Boman a récolté des histoires ; en véritable paysan amoureux de son travail, il a choisi les meilleures ; en gastronome, il les a préparées et présentées avec art. Sa joie à raconter est palpable et rend la lecture délicieuse. Tout est vrai dans ce livre, mais les histoires sont si belles et si bien transmises qu’elles ont l’air inventées (par exemple, on apprend que certains ensemencent les nuages à l’aide d’une fusée qui répand des vapeurs d’iodure d’argent, de la poudre de sodium ou des extraits d’algues brunes).
Ce livre s’insert parfaitement dans la bibliographie du créateur de l’inspecteur Peabody (il faut découvrir cet incroyable personnage dans la série de romans policiers publiée chez Philippe Picquier). Boman a mené l’enquête ; il a traqué la pluie. On l’imagine tel un Indiana Jones avec un chapeau, des bottines et un vieux sac de voyage en cuir ; il prend des trains d’un autre temps dans des pays lointains, vit mille aventures, fait des rencontres, dîne dans des auberges, se perd dans les bibliothèques de monastères secrets et d’universités prestigieuses. Parfois, il nous offre des récréations : ce sont ses notes personnelles, des impressions, des souvenirs, des remarques ; il nous écrit d’une île dans le Morbihan, du Panama, de Norvège, d’Irlande, d’Islande, du Pakistan, de Patagonie, d’Amsterdam. Il a daté ces petits paragraphes intimes, et l’on découvre ainsi que, depuis des décennies, il a mis de côté les moments où la pluie se manifestait et ce qu’elle lui inspirait. On comprend que l’amour de Boman pour la pluie est un grand amour, une noble obsession, pas une lubie.
Ainsi le Dictionnaire de la Pluie est aussi un livre sur Patrick Boman, une sorte d’autobiographie voilée et émouvante. Il nous fait partager ses averses. Sa personnalité affleure, par exemple, quand il s’emporte contre les parapluies (mais défend les ombrelles) ; il se rappelle sa grand-mère ; il nous parle de son film préféré (il a bon goût : Seuls les anges ont des ailes de Hawks), de Lisbonne, d’un livre pour enfants. La pluie est une affaire de mémoire.
On se rend compte, alors, que ce dictionnaire mérite une place à part dans notre bibliothèque, car plus qu’un recueil de mots rangés par ordre alphabétique, il témoigne d’une vision du monde et d’une certaine idée de l’homme.