(texte publié dans le revue décapage en septembre 2008)
Ce dimanche matin (nous sommes au mois de juillet), je suis à mon atelier, un ancien appartement reconverti en lieu de travail pour photographes et diverses variétés d’artistes. J’écoute Flight to Denmark de Duke Jordan et je prends des notes pour un prochain roman.
Le meilleur moyen de se soustraire aux tangages de la fin de l’écriture et de la sortie d’un roman consiste à en commencer un autre. J’écris parce qu’un livre terminé se termine mal : il n’est pas aussi beau que celui que j’avais en tête. C’est une vie de cœur brisé. Heureusement je n’ai pas de mal à tomber amoureux d’une autre histoire.
Je porte en moi des personnages ; ne pas écrire reviendrait à pratiquer une hécatombe et je n’ai plus de place en moi pour de nouveaux massacres. Et puis, après tout, que faire à part écrire ? Je ne vais quand même pas avoir une vie sociale.
Quand je dis que je prends des notes pour un nouveau roman, je donne l’impression de travailler, mais c’est avant tout un moyen d’éviter de commencer la rédaction. Les notes retardent le roman, et parfois l’empêchent. C’est une fuite et une mauvaise excuse.
Pourtant, je continue à prendre des notes (disons jusqu’à ce soir). Certaines ne me serviront pas. D’autres au contraire auront une grande importance. Griffonner sur des carnets et des bouts de papier a pour principal intérêt de me donner bonne conscience : je passe du temps en bibliothèque, sur internet, dans les musées et les librairies.
Prendre des notes et se documenter sont des préliminaires parfois nécessaires, mais en vérité, les choses importantes se révèleront dans la rencontre avec la page. Les bibliothèques sont accessoires (mais offrent de belles promenades, et c’est crucial : changer de lieu c’est changer de disposition d’esprit). L’électrolyse se produit lors du contact avec la page blanche, sous la pointe d’un stylo ou d’un curseur d’ordinateur. Tout est là. La documentation rassure ; elle nous habille un peu, nous réchauffe, étire nos muscles et nous met en condition. Mais, au final, nous sommes nus et seuls. On se débarrassera de la plupart de ces notes, on les oubliera ; il ne faudrait surtout pas s’en servir sous prétexte qu’on a passé du temps à les récolter. Une seule chose compte : s’enfermer dans une pièce et se mettre à écrire.
Mercredi. J’ai cessé de prendre des notes et de me documenter. J’ai rédigé mon premier chapitre et des parties des trois suivants. C’est mon premier roman à la première personne ; j’ai relu ce que disaient James et Greene de cette technique ; j’ai feuilleté Les Grandes Espérances ; je pense aux différentes manières de se débrouiller avec ce « je ». C’est très excitant. J’ai envie de changer quelque chose dans la présentation des dialogues aussi. On verra.
Je ne crois pas à l’angoisse de la page blanche. Il me semble que c’est tout le contraire. Ce qui terrorise un artiste, c’est non pas la peur de ne pas créer, mais de réussir à créer. D’inventer quelque chose là où il n’y avait rien. De déranger la tranquillité du monde. Il y a le sentiment de commettre un sacrilège. L’angoisse est dans la possibilité d’écrire, non dans l’impossibilité. Le supposé manque d’inspiration n’est rien d’autre que de la peur.
Jeudi. Je suis passé aux éditions de l’Olivier pour prendre un livre que Véronique Ovaldé vient de me conseiller, L’ombre de moi-même, d’Aimee Bender. La première phrase : « Pour mon vingtième anniversaire, je me suis acheté une hache ».
Mon ordinateur vient de me prévenir : j’ai reçu un nouveau message. Bonne nouvelle. Un écrivain que j’aime rejoint le projet de livre de préfaces que je mène en ce moment avec Thomas B. Reverdy.
Thomas et moi avions envie d’une aventure collective. De rencontres, de découvertes, de liens entre des écrivains que nous connaissons, mais qui ne se connaissent pas et ne se lisent pas toujours. Le projet consiste, pour chaque auteur, à écrire la préface d’un roman qu’il estime méconnu. Le livre sera publié aux éditions Intervalles au premier semestre 2009. Nous avons rencontré presque tous les participants une fois au moins ; certains sont des proches, la plupart n’ont été croisé que brièvement. Thomas, moi et l’éditeur (Armand de Saint Sauveur), nous nous réunissons pour parler des gens à qui nous aimerions proposer cette aventure ; il faut nous mettre d’accord.
Le milieu littéraire compte plusieurs petits clans, des amitiés (qui sont ou qui se révéleront d’intérêts) regroupées autour de revues, de prix, de journaux, de maisons d’éditions, de la certitude de représenter la meilleure, la vraie littérature. Il y a des églises, et aussi des réseaux laïcs. C’est étonnant ce monde de petits clans, excluants, violents, bataillants. Les participants au livre des préfaces, eux, sont d’horizons divers, et je crois, ne font partie d’aucun cercle. Leur unique point commun certain est d’être de bons compagnons. Ils ne partagent pas forcément la même idée de la littérature, leurs livres, leurs goûts ne sont pas homogènes. Cette variété qui ne répond qu’à une logique sentimentale nous plaît.
Jeudi. Je suis assis dans un vieux fauteuil-club, déchiré, laminé par le chat d’une fille de l’atelier. Je viens de terminer Gomorra de Savianio, un des meilleurs livres lu ces derniers temps. C’est une merveille littéraire, politique et analytique.
Mon nouveau roman, Peut-être une histoire d’amour, doit sans doute quelque chose de son titre à cette phrase de Robert Mc Liam Wilson : « Toutes les histoires sont des histoires d’amour ». Les histoires et l’amour sont intimement liés. L’amour est, en partie, une histoire dont on hérite et que l’on récite. Mais aussi, si on le décide, une histoire que l’on invente. Ecrire est une manière d’aimer, comme aimer est une manière de créer.