Je lis Chez les fous d’Albert Londres. C’est un livre-reportage écrit en 1925. Albert Londres décide d’enquêter sur la manière dont la société française s’occupe des fous. C’est un livre très rock, le journalisme gonzo n’a rien inventé, tout est déjà là. Londres n’hésite pas à entrer dans les hôpitaux, il essaye de se faire passer pour fou (on pense à Shock Corridor avant l’heure, à Günter Walraff), il interpelle les médecins, plus tard il recevra un fou chez lui pour discuter. Il ne joue pas sur la sensiblerie. Il ne cherche pas à tirer les larmes et à faire émouvant. Il n’en rajoute pas. Je ne suis pas sûr de terminer ce livre, c’est dur, vraiment dur, et ça me rappelle trop de choses. Un regret : il a manqué à ce livre la lecture d’un éditeur. Il y a trop de points d’exclamation (je suis allergique aux points d’exclamation ! sans parler des points de suspension… c’est inutile et vulgaire).
Editeur est un métier (devrait être, en fait : beaucoup d’éditeurs ne font aucun travail d’édition, et se contentent de publier). Il a le même rôle que le producteur pour les groupes de rock pendant l’enregistrement d’un album (ou au cinéma, mais là il faudrait ajouter le monteur, le directeur de la photographie…). Il a la distance qu’un artiste a perdu à force d’être concentré dans la réalisation de son œuvre. Il y a quelques semaines une connaissance m’a demandé si mon éditrice me forçait à faire des corrections. La remarque est symptomatique : considérer un éditeur comme un genre de maître d’école autoritaire. C’est étrange de considérer un écrivain comme un enfant, mauvais élève potentiel. Que des écrivains, ou des aspirants écrivains, imaginent une relation hiérarchique entre l’éditeur et l’écrivain (ou l’acceptent, après tout des éditeurs jouent très bien les petits chefs) est inquiétant. Non, l’éditeur n’impose rien (il y a mille contre-exemples à ce que je dis : Selznick et Zanuck par exemple ; le meilleur film sur le sujet – la complexité des rapports entre créateur et producteur- est The Bad & the Beautiful de Minnelli ; voir aussi les relations entre le flegmatique et inflexible Hawks et ses producteurs). Il est au service du disque, du roman, du film, de la vision de l’artiste. Cela peut vouloir dire contredire l’artiste (ce que celui-ci pourra entendre s’il a confiance dans l’expertise de son interlocuteur, et si des affaires d’ego ne viennent pas tout gâcher -il y a un jeu très fin à jouer : à mon avis il faut être mégalomane et immensément ambitieux dans son travail tout en étant capable d’écouter un avis extérieur et de remettre en cause certains points, en quelque sorte être à la fois mégalomane et dépourvu d’égo). Après avoir lu le manuscrit, il est là pour pointer les problèmes (répétitions, illogismes, chronologie folle) qui ont échappé à l’auteur et pour lui suggérer d’aller plus loin dans certaines voies qu’il a emprunté. Bizarrement en littérature c’est quelque chose de moins connu, de moins dit qu’en musique ou qu’au cinéma (c’est vrai il n’y a pas d’Irving Thalberg de l’édition). Il y a ce mythe de l’écrivain seul et autocréateur. C’est vrai pendant la majeure partie de la création. L’éditeur apparaît à la fin. La piètre qualité de beaucoup de romans tient au fait que l’éditeur n’a pas fait son travail (pour être juste, il faut dire que certains auteurs refusent qu’on leur fasse la moindre remarque). Quelques grands producteurs : George Martin, Phil Spector, Daniel Lanois, et en France, le plus célèbre est sans doute Jean-Claude Vanier (lire sa page wikipedia est très instructif : il faudrait écrire une histoire de la musique centrée sur les producteurs, ça serai passionnant). L’autre est nécessaire à la bonne réalisation d’un travail artistique. Ce n’est pas toujours un producteur ou un éditeur, ça peut-être quelqu’un d’autre, un ami, des amis, une femme, un mari. Toute création se fait dans la solitude et à la fin dans la rupture de cette solitude.
Hier soir j’ai commencé mon nouveau cours de yoga. Cela s’appelle du Yoga Nidra et c’est trop cool : on garde pull et écharpe, on se couvre d’une couverture et on reste allongé pendant une heure. La prof nous demande d’imaginer le chemin de l’air dans différentes partie de notre corps, on écoute, on imagine. Je me suis presque endormi deux fois. Rien n’est plus relaxant. Si on arrive à tenir une heure sans bouger. Hum, ah oui au fait la moyenne d’âge doit être de soixante cinq ans. Cela se confirme, je suis déjà une personne âgé (j’ai fondé le club des sexagénaires de moins de quarante ans). Mon roman est terminé. J’ai donc encore beaucoup de travail. Mais c’est la partie que je préfère : relire, corriger, laisser reposer, supprimer, ajouter, changer de place des paragraphes. J’ai dit à mon éditrice que je lui remettais mon roman fin mai (j’ai de la chance j’ai toujours eu de bons éditeurs : Dominique Gaultier au Dilettante, Geneviève Brisac à l’Ecole des Loisirs, Anna Pavlovitch pour mon essai sur la pluie, Alix Penent d’Izarn aux éditions de l’Olivier -et il faudrait mentionner toutes les autres personnes qui lisent un manuscrit, un ami, une assistante d’édition, le correcteur). Le soir je me couche en ayant hâte que le matin arrive pour me remettre au travail. Il n’y a rien de meilleur au monde.
Studio 60 on the sunset strip est une très bonne série (il n’y aura qu’une seule et unique saison). On retrouve Aaron Sorkin à l’écriture et dans un des deux rôles principaux Mathew Perry. Cette série porte sur le quotidien de la production d’un show comique à la Saturday Night Live (note : il faudrait que l’on nous explique comment voir, autrement que par des moyens illégaux, des oeuvres importantes mais non distribuées en France, et dont on ne peut pas acheter les dvd d’origine, car les lecteurs dvd français ne font pas partie de la même zone; ou encore des oeuvres coupées et censurées). Une amie vient de trouver un emploi. Elle a passé un entretien pour ça. Sauf qu’elle ne sera pas payée. C’est ce que lui a annoncé le directeur de la boîte (la violence commence là, pas dans la rue, pas par des voitures brûlées, pas par des séquestrations de patrons). Fataliste elle se dit que ça sera toujours un truc à mettre sur son cv. Je repense à des discussions que nous avons entre amis à propos de la loi hadopi et des sanctions contre ces petits voleurs de chansons et de films sur internet. Bien sûr on ne doit pas voler. Les lois contre le vol sont nécessaires et on devrait laisser sa place dans le métro aux personnes âgées. Mais c’est un peu court. La seule position tenable pour des artistes favorables à la répression serait celle de ceux qui poseraient le problème dans son ensemble. Tant qu’on continuera à ne pas payer les gens, ou pas assez, à ne pas mieux redistribuer les richesses, il y aura des petits voleurs (de pain, de chocolat, de fruits et légumes, de chansons, de films, de livres). Et ces voleurs auront raison. Si on ne se bat pas pour changer ça aussi, pour une autre société, soutenir la loi hadopi est une tartuferie.