Étrange bibliothèque, les livres ont été laissé par les résidents successifs pendant vingt ans ; des livres d’un peu partout dans le monde, pas mal de livres d’art, mais aussi des romans, des ouvrages de sciences humaines. Le nom du donateur est noté sur la couverture intérieure. Bibliothèque collective magique. J’y passe mes après-midi, je lis et je travaille mes textes, de temps en temps je prends un livre, et je m’installe dans un des fauteuils en cuir pour lire. C’est agréable ; parfum de fermentation des livres. Il y a un échiquier aussi, mais je n’ai pas encore trouvé d’adversaires. Après-midi d’hier passée avec l’informaticien en visite à l’académie, à ausculter et à guérir mon ordinateur. Il va mieux ; j’ai aussi eu droit à un écran sur lequel je branche maintenant mon bon vieux portable cabossé (Your laptop fell twice, m’a dit le docteur des ordinateurs, en regardant ses bosses). Je travaille beaucoup et bien. Je lis un des livres trouvé dans la bibliothèque, les Journaux de Sylvia Plath. C’est un beau livre sur pas mal de choses dont on parle peu il me semble. On découvre une jeune fille qui parle franchement des hommes, de ce qu’elle attend d’eux, du type de corps qu’elle aime. Plus tard, mariée, elle observe, très fière, sa relation avec Ted Hughes, et de la manière dont deux artistes peuvent construire une histoire d’amour, sans se concurrencer, en s’épaulant, en s’influençant mutuellement (ses derniers journaux ont été détruit par Hughes, il n’y a rien, pour l’instant, sur sa jalousie amoureuse-justifiée ; tiens au fait, c’est étonnant la violence des réactions à l’égard de Ted, désigné responsable de la mort de sa femme). Elle parle beaucoup de sa jalousie à l’égard d’autres écrivains, et de son énervement contre ce trait de caractère. Elle parle de son incapacité à se mettre au travail aussi. Elle ne travaille jamais autant qu’elle le voudrait. Elle est envieuse et admirative de nombres d’écrivains. Et puis on assiste à des scènes de guet de la boîte aux lettres ; Plath attend des réponses pour des bourses, des résidences, elle attend aussi de savoir si telle nouvelle, tel poème ou livre pour enfants sera publié. Il y a beaucoup de refus, de la Yale Review, de magazines prestigieux ; elle se rassure quand elle apprend que Virginia Woolf elle-même a vu certains de ses textes refusés. « Writing is a religious act: it is an ordering, a reforming, a relearning and reloving of people and the world as they are and as they might be. » Encore quelqu’un que j’aurais aimé, que je voudrais, consoler, peut-être pas consoler, mais appeler, à qui je voudrais parler. Je sais bien que la mode est au discours « On ne peut sauver personne », mais c’est des bêtises, c’est de la lâcheté, la basse morale de ceux qui ne veulent pas être dérangés. Bien sûr qu’on sauve, tout le temps, en appelant, en étant là, en étant rassurant, en redonnant confiance, en montrant que nos sentiments amicaux sont solides. Bien sûr qu’on sauve, mais à la condition de ne pas s’oublier soi-même, d’être vivant, égoïstement vivant et à peu près heureux. Oui l’égoïsme, dans ce cas-là, est une vertu.