(préface à l’édition Arléa de ce bref essai)
Cette étude, extraite de La pathologie de la vie sociale, enchantera ceux pour qui La Comédie Humaine est un trop gros repas. Balzac prône la modération, voici offert du Balzac avec modération. On aimerait croire ce que dit l’auteur sur les dangers de l’alcool et des autres excitants, mais il faut convenir que ce n’est pas possible : le monde de son raisonnement est emplie de « plumes et de dentelles ». Son style est par trop excitant et, disons-le, enivrant pour que le lecteur prête la moindre attention au message de sa prose. Rien n’est moins efficace qu’un discours moralisateur écrit par la plume facétieuse et grisante d’un grand écrivain. Nous restons hébétés par ce texte, saoul de l’imagination scripturale, l’esprit incapable de saisir la vérité distillée dans l’alambic de l’écrivain comme de l’orge banal.
Voilà pourquoi il importe que les avertissements de la sécurité routière et de la ligue contre l’alcoolisme soient rédigés par des tâcherons. Lisez la notice d’un médicament, c’est plat. Donc on y croit. Si c’est si mal écrit, si c’est fade, c’est que le médicament marche. On se méfierait d’un remède dont la posologie serait écrite en alexandrins, d’une ordonnance rédigée par un médecin lyrique déguisé en lutin.
L’athée ne se transforme pas en chrétien après l’écoute de La Passion selon Saint Mathieu de Bach, n’ayez crainte, donc : Balzac ne vous guérira de rien. Au contraire, il espère la naissance d’une addiction.
En filigrane, on devine que cette diatribe contre quelques poisons masque une publicité pour leurs plus beaux effets : la pluie ne touche pas l’homme ivre, l’alcool fait confondre une duchesse et une ouvreuse… Comme le dit le baron Melchior de Canalis dans Modeste Mignon
C’est un texte drôle, dans lequel Balzac suggère d’utiliser les condamnés à mort comme cobayes à l’usage des savants. On apprend beaucoup de choses, beaucoup de choses fausses ou inventées.
A certains moments, Balzac devient sérieux et médit du thé, l’instant d’après il nous raconte un souvenir ou divague sous couvert de scientificité. Il nous dit pourquoi les assassins ne salivent pas, comment le chocolat mis fin à la puissance de la royauté espagnole.
Pour finir, cette anecdote. Lors d’un concert auquel il assistait après une bonne cuite, une femme se plaignit qu’il sentait le vin. Balzac répliqua : « Non, madame, je sens la musique ». Le traité des excitants modernes ne sent pas la morale, il exhale le parfum de la littérature.